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Lactosérum : dans les Pyrénées, une chevrière s’est inquiétée de ses rejets en milieu naturel

today21 juin 2023 270

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Savez-vous ce qu’est le lactosérum ? Il est vrai que le fromage est un véritable met culturel en France. D’ailleurs, les touristes qui ont l’occasion d’ouvrir le frigo d’un Français sont toujours étonnés : il y a au moins deux types de fromages minimum en stock par foyer ! Emmental, mozzarella, roquefort, camembert, fromage de chèvre, de brebis… La liste est longue. Dans le Département des Pyrénées-Atlantiques, on compte pas moins de 1 750 éleveurs ovins lait, 490 000 brebis laitières, dont 90% sont localisées en zone de montage et haute montagne, au niveau du Parc national des Pyrénées.

Si vous vous léchez  déjà les babines de penser à votre fromage bien coulant que vous étalez dans une baguette bien croustillante pour votre déjeuner, n’oubliez pas que la transformation du lait en fromage n’est pas sans conséquence sur les milieux aquatiques. En effet, le rejet du lactosérum, qu’on appelle le « petit lait », utilisé pour fabriquer le fromage, impacte la qualité et la ressource en eau de montagne, notamment celle du Béarn, dans les Pyrénées-Atlantiques.

Lactosérum : quelques éléments

Saviez-vous comment se produisait le fromage ? Artisanale ou industrielle, il y a un point commun à ces deux types de productions de fromage : le lactosérum. Cette partie liquide résiduelle est issue de la coagulation du lait. Ce « petit-lait » est composé à 94% d’eau, de sucre (le lactose), de protéines et de matières grasses en quantité moindre. Riche en matière organique, une fois rejeté, ce résidu enrichit les milieux aquatiques et les déséquilibre, c’est le phénomène de leutrophisation.

Par exemple, un troupeau de 200 brebis en estive qui se trouve dans le Parc national des Pyrénées va produire 150 litres de lait par jour. Ces 150 litres vont se transformer en 28 kilos de fromage… Pour 120 litres de lactosérum. Cela représente l’équivalent de la charge organique produite par un village de 120 habitants par jour. Imaginez donc à échelle nationale, avec tout le fromage que les Français mangent ! Cette production fromagère engendre des eaux blanches, conséquence du lavage des salles de traite et des ateliers fromagers. Les analyses sanitaires réalisées dans les Pyrénées-Atlantiques font apparaitre une composition particulièrement riche en matière organique du lactosérum.

Vers un dispositif d’assainissement écologique

Du côté du Parc national des Pyrénées et du département des Pyrénées-Atlantiques, il était hors de question que les rejets du lactosérum pour fabriquer notre précieux fromage soient la source d’un dérèglement naturel. En 2015, Adeline Cardet, une chevrière qui travaille au niveau de la commune de Laruns a initié en toute autonomie un prototype en partenariat avec les bureaux d’études David Chétrit Environnement et Lo Consult. Ils sont partis du principe d’épuration sur un lit de compost. Séduit, le Conseil départemental a accompagné l’idée d’Adeline Cardet.

Après le premier test de cette manière de procéder, les résultats du rendement épuratoire sont très prometteurs. De ce fait, le Parc national des Pyrénées et le Conseil départemental des Pyrénées-Atlantiques se sont engagés dans une expérimentation sur quatre sites en montagne et en plaine. Ainsi, de la cabane de Lurbe à Bedous en Vallée d’Aspe, au niveau de la cabane de La Hosse en Vallée d’Ossau, évidemment à la chèvrerie d’Adeline Cardet et à l’exploitation du Lycée de Soeix à Oloron-Sainte-Marie, tous utilisent ce prototype d’épuration sur un lit de compost.

De 2020 à 2022, ces quatre sites de production de fromage ont expérimenté sur le terrain ce dispositif d’assainissement écologique. Aujourd’hui, en 2023, cette méthode est agréée pour le traitement du lactosérum dans les cabanes d’estive mais aussi dans les exploitations agricoles.

Adeline Cardet, à l’initiative du projet pour traiter le lactosérum, avec les deux concepteurs du système, David Chétrit et Laurent Roquier, photographie deNicolas Sabathier pour Larepubliquedespyrenees.fr
Adeline Cardet, à l’initiative du projet pour traiter le lactosérum, avec les deux concepteurs du système, David Chétrit et Laurent Roquier, photographie de Nicolas Sabathier pour Larepubliquedespyrenees.fr

Les coulisses de la création de ce traitement du lactosérum

Comme vous l’a expliqué Radio Oxygène précédemment, en 2015, sous l’action volontaire d’Adeline Cardet, une Larunsoise, le projet du dispositif d’assainissement écologique a vu le jour. De leur côté, les consultants David Chétrit et Laurent Roquier lui ont proposé de concevoir et d’installer un prototype sur le principe déjà éprouvé en Savoie de la culture fixée : c’est un dispositif alors novateur et prometteur, au rendement épuratoire très performant. Par la suite, le Département des Pyrénées-Atlantiques a tenu à soutenir cette innovation en finançant cette installation innovante à hauteur de 50%.

Un an plus tard, en 2016, le Parc national des Pyrénées s’en mêle et devient partenaire de l’expérimentation. Un programme expérimental plaine-estive voit le jour : deux cabanes en estive sous maîtrise d’ouvrage du Parc national des Pyrénées, deux installations en plaine suivies de très près par le Département qui réalise de nombreuses analyses sur les résultats de ce nouveau dispositif épuratoire.

En 2018-2019, des études préalables sont réalisées par les consultants ayant collaboré avec Adeline Cardet. En 2020-2021, les premiers travaux sous la maîtrise d’œuvre des consultants voient le jour, de la même manière que les premiers résultats d’analyse. En 2022, l’Agence de l’Eau a validé le système comme dispositif de traitement efficace. Une véritable victoire pour le Département des Pyrénées-Atlantiques et tous ses acteurs !

La chèvrerie Cardet, ou la magie du lactosérum

Adeline Cardet a été à l’initiative de ce projet et a porté la maîtrise d’ouvrage sur sa chèvrerie avec des travaux réalisés en 2015 puis à l’hiver 2021-2022. Depuis l’atelier de fabrication, le lactosérum est évacué jusqu’à un bac dégraisseur où la matière susceptible de se colmater dans les tuyaux se décante. Elle peut alors être évacuée par un regard. Le petit-lait est alors dirigé vers un système d’épuration par biologie fixée sur un lit de compost, au sein de cylindres dimensionnés en fonction de la quantité de lactosérum à traiter.

Ce dispositif conçu par David Chétrit et Laurent Roquier, consultants en environnement, eau et assainissement, s’appuie sur la percolation du petit-lait via un lit de compost composé de broyat de bois (BRF). Le lactosérum est diffusé par aspersion sur ce matériau pour en ressortir épuré à 90% de sa charge organique. Mais certains lieux de fabrication ont choisi de transformer le lactosérum : il peut être utilisé pour l’alimentation animale, par exemple pour les cochons et les vaches. Certains le transforment en greuil, le destinent à la méthanisation ou encore dans l’industrie alimentaire.

Un coût qui en valait la peine

Le financement de l’expérimentation lactosérum (qui concerne notamment les études préalables, l’accompagnement des bergers mais aussi des missions en plaine) s’est élevé à 255 216 euros. L’opération à la chèvrerie Cardet s’élevait, elle,  à 32 214 euros. Le Département est intervenu pour un montant global de 101 367 euros, la Région 51 586 euros, l’Agence de l’eau Adour-Garonne 29 994 euros, le Parc national des Pyrénées 33 626 euros, le Massif des Pyrénées (Etat) 18 900 euros. Concernant l’expérimentation à la chèvrerie Cardet : le Département 22 214 euros, l’Agence de l’eau 8 994 euros et 6 664 euros d’autofinancement.

Avouez, vous ne mangerez plus jamais votre fromage comme avant, n’est-ce pas ? Il est important de bien choisir son producteur. Et avec la planète qui se réchauffe et la pollution qui cause de plus en plus de soucis, choisir ses produits n’a jamais été aussi urgent.

Écrit par: admin

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